Dublin, 7 septembre 2005
Le 7 septembre marque pour moi la fin de plusieurs
choses importantes.
Personnellement, ce jour là je quittais Londres après
8 mois mémorables au cours desquels j’ai notamment pu me familiariser avec le
football anglais, ses stades et ses fans.
Sportivement, ce jour voyait un de ses monuments
délivrer son dernier souffle. Le mythique stade de Lansdowne Road allait accueillir son
ultime évènement avant d’être rasé pour laisser place à une enceinte moderne
aseptisée mais sure et lucrative.
Ces deux évènements confrontés, je n’eus plus le choix
et dû me rendre à Dublin en compagnie de milliers d’autres gens pour saluer une
dernière fois le condamné.
L’aventure avait en fait commencé
quelques mois auparavant lorsque certains membres d’un forum internet de
discussion sur le monde des tribunes, partant du principe que l’équipe
nationale ne bénéficiait pas du soutient qu’elle méritait, émirent l’idée de
créer un vrai groupe de supporters à tendance ultra pour soutenir les bleus.
Le premier rendez-vous de ces
motivés éparpillés sur le territoire français, fut pris pour ce mois de
septembre et une rencontre décisive pour déterminer qui de l’Irlande ou de la
France obtiendrait son billet pour la prochaine coupe du monde.
Chacun d’entre nous assuma le
fardeau de devoir négocier l’obtention de billets pour ce match avec
l’inorganisée Fédération Française de Football. Le besoin de voir ces billets
expédiés en Angleterre à mon adresse de l’époque, ne facilita bien entendu pas
ma tâche.
Malgré tout, les UF05 étaient en
route vers leur premier rassemblement.
Ce 7 septembre, je ne pris donc pas
l’avion pour Saint-Etienne et cette école qui m’attendait. Je pris plutôt la
direction de la capitale irlandaise où je devais retrouver les co-supporters que
je ne connaissais alors que virtuellement.
Certains d’entre eux étaient déjà là
depuis la veille. L’un d’entre eux, notre leader non officiel, était déjà dans
l’avion de retour lorsque le mien atterrissait.
Notre leader avait eu le malheur de
tomber durant la première veillée, sur un troupeau de bêtes stupides qui
l’avaient contraint au départ forcé, n’ayant plus la motivation ou l’envie de
s’éterniser.
Les bestiaux étaient un groupe de
supporters indépendants du KOB (Kop Of Boulogne) et le leader était un fan
marseillais. Le deuxième avait parfaitement compris que pour un rassemblement
de l’équipe nationale, nos engagements en club n’avaient pas d’importance
tandis que les bêtes sauvages n’en n’avaient rien à faire.
Je rejoignis les membres restant de
notre club spontané qui au fur et à mesure de la journée, et des pubs visités,
s’approchait de sa composition finale. En fin d’après-midi, ce fût une
quinzaine d’alliés qui prirent la direction du sud-est de la ville pour
rejoindre le quartier de Lansdowne Road.
Lansdowne Road, nom d’un stade, une
rue mais également une station de train. Une station bien particulière puisque
en partie recouverte par la tribune ouest du stade. La photographie est très
connue mais fait toujours sourire, montrant des milliers de fans s’exciter pendant
que de simple voyageurs situés juste en-dessous prient pour que la couverture
en béton ne s’effondre pas sous le poids et les vibrations.
Durant notre tournée pré-match nous
croisons le groupe de bestiaux déjà cité, prenant bien soin d’éviter de croiser
leur chemin, puis un autre groupe à l’attitude très différente.
Ce groupe était principalement connu
par le biais d’un homme et d’un animal que je rencontrais alors pour la
première fois : Clément d’Antibes et son coq. Le vieil homme et ses acolytes
étaient jusqu’ici l’unique preuve vu de l’étranger, que « les bleus »
avaient quelques supporters. Une image un peu désolante je vous l’accorde.
Ce qu’on ne peut pas reprocher à ces
types là est surement leur engagement. Depuis des années, ils parcourent le
globe au même rythme que notre équipe nationale.
Ce qu’on peut leur reprocher (du
moins au noyau dur de ce groupe) est leur attitude rétrograde, voire aigrie
vis-à-vis de potentiels supporters ultras tels que nous. Le dialogue fut vite
rompu, comme lorsque vous décidez de tailler une haie mitoyenne et que le
voisin au teint imbibé de vin de table râle parce qu’il préfère sa haie touffue…
Les préliminaires passés, il fût
temps de rejoindre notre tribune : la fameuse west stand. Les gradins, car
il s’agissait alors de véritable gradins sans siège, à la forme tronquée pour
cause de voie ferrée, étaient pleins à craquer.
Cette densité exceptionnelle d’êtres humains me fit
frémir. Elle provoqua une sensation très courante dans les échoppes de Temple
Bar mais qu’il est difficile de retrouver dans un stade de football moderne.
L’ambiance dans notre tribune visiteur me surpris. En
effet elle était très dynamique, bien que complètement désorganisée. Seul
« le groupe des supporters de l’équipe de France » avait à sa tête
une espèce de chef d’orchestre dictant les lancements de la seule chanson du
répertoire : « Aller les bleus ».
La rencontre elle était très tendue, nerveuse entre
deux équipes au niveau très proche ce jour là.
Jusqu’à la 68e minute et
ce trait de génie de Thierry Henry : une frappe enroulée du pied droit,
une trajectoire au rayon de courbure incroyablement petit et une délivrance
pour tous les fans français.
Ce but restera longtemps gravé dans
ma mémoire de part son importance, sa précision mais également à cause du point
de vue formidable dont je bénéficiais. Derrière les filets qui tremblèrent,
parfaitement situé dans l’axe de la course empruntée par le ballon.
Par chance une caméra de télévision
se trouvait elle aussi exactement sur cet axe mais de l’autre coté du buteur.
Ce qui fait que sur chacun des milliers de ralentis diffusés de ce but là, je
peux apercevoir distinctement la position de mes compagnons et moi !
La suite demeure elle aussi
mémorable, la nuit qui s’en suivit nous fit aller de pub en pub, à savourer avec
la population irlandaise ce qui restera dans les mémoires comme un grand match
de football digne d’une dernière représentation dans un grand théâtre.
Au petit matin lorsque je montai dans le premier bus
me menant à l’aéroport, je ne pu m’empêcher de penser tristement aux pelles
mécaniques qui devaient déjà se préparer à démolir l’ouvrage.
Pour
une dernière, ce fut une belle dernière.