Parce que
je me devais de m’intéresser à la culture sportive anglaise et que celle-ci ne
se limite pas au football et au rugby, j’avais envisagé depuis un moment
d’entraîner ma compagne dans une virée vers un des deux grands stades de
cricket de Londres.
Ce sport
crée à la même époque que ce qui n’était alors qu’un mélange de jeu au pied à
onze et de jeu à la main à quinze, est très populaire en Angleterre et dans les
anciennes colonies britanniques. Il s’agit même du sport collectif préféré au
sein de l’élite bourgeoise
du pays ainsi qu'au sein de la
très large communauté indo-pakistanaise.
Les dernières pages dédiées au sport dans les quotidiens
font quasiment autant de place au cricket qu’au football quand la saison des
cricketeurs est ouverte.
Car oui,
étant imprégné de noblesse et de dignité, ce sport se pratiquait jusqu’à peu
uniquement en tenue blanche qu’il ne fallait pas salir. D’où une saison réduite
aux quelques mois de ce qui au Royaume-Uni se fait appeler, avec grande
exagération, l’été.
Ma curiosité
(voire mon autisme) m’avait déjà poussé à découvrir ce sport bien plus en
profondeur que ce qu’on pouvait logiquement espérer d’un continental.
Par
conséquent, je savais qu’il me fallait obtenir des sésames pour un test match
international afin de découvrir le monde du cricket par la grande porte.
Lords et The Oval étaient les deux stades candidats à ma
venue. Le premier cité se situait tout près de mon habitation à
Baker Street et était également le berceau de ce sport, siège de la fédération
nationale et du musée du cricket. Le second, situé au sud de la Tamise avait pour
particularité d’avoir la forme géométrique que lui confère son nom lorsqu’on
l’observe depuis les cieux.
La première bonne occasion me fit investir dans une paire de
tickets pour emmener ma dulcinée découvrir ce sport lors d’une journée de test
match estival opposant l’Angleterre à l’Inde à The Oval. La première
découverte, avant même de se diriger vers le stade, fût la gestion temporelle
d’un tel match.
Les sésames indiquaient une ouverture des portes à 9h00 pour
un début des hostilités prévu 30 minutes plus tard. Très matinal pour une
rencontre sportive me direz-vous… La particularité était ici qu’il n’y avait
pas de durée précise pour la rencontre, la journée s’achevait quand les juges
arbitres (« umpires ») décidaient qu’il faisait trop sombre, ou qu’ils étaient trop fatigués ou
que leur programme télé favori allait bientôt commencer.
Généralement, cela conduit à une présence possible d’une
douzaine d’heures au stade pour ce type de rencontre, sauf que les cricketeurs
professionnels eux, ne jouent pas pendant tout ce temps. Une pause de plus
d’une heure leur est
accordée à midi (en plein match et quelque soit la situation sur le terrain) de
même qu’une seconde, quand l’horaire du traditionnel tea-time britannique
sonne.
Les tests matchs n’ayant lieu qu’entre anciennes colonies
britanniques, tout le monde est soumis à cette règle imposant deux coupures
dans une longue journée de travail, y compris lors d’un Bangladesh – Indes Orientales
(véritable nation dans le
monde du cricket, regroupant plusieurs iles caribéennes).
L’ultime spécificité temporelle concerne la durée globale
d’une rencontre. En effet, un test match correspond à cinq journées
consécutives telles que décrites précédemment, généralement du jeudi au lundi
suivant (et encore cette limitation ne fut mise en place qu’après des décennies
de tests à la durée indéterminée).
Notre visite concernait la troisième des cinq journées
consacrées à ce test et d’après les spécialistes, ce matin là, l’Inde semblait
en position très favorable pour remporter ce test ou au moins obtenir un match
nul (score qui représente plus de la moitié des issues de tests matchs). Les
cricketeurs semblent donc incapables de se départager, même après cinq jours
d’efforts…
Le principe général a inspiré (et non pas l’inverse) celui
du base-ball américain. Les équipes défendent et attaquent tour à tour en
s’installant au lancer ou à la batte (à la section rectangulaire plutôt que
ronde de l’autre coté de l’Atlantique).
Cricket vs baseball.
Voici les principales différences :
- Le terrain a une forme entièrement ronde, les batteurs et lanceurs ce situant au centre de celui-ci,
- Il est donc autorisé de frapper la balle vers l’arrière, en l’effleurant ou la déviant grâce aux particularités géométriques de la batte,
- Le lanceur se doit de conserver le bras tendu lors de son jet (essayez, ce n’est pas inné comme geste),
- Le batteur ne doit pas juste frapper la balle quand il en a envie, il doit en fait protéger des quilles situées juste derrière lui,
- La balle lancée doit impérativement rebondir (multipliant les effets donnés à la trajectoire de celle-ci) avant d’être batée ou de percuter les quilles (« wickets »),
- L’attaquant ne marque pas de points en courant en cercle mais en effectuant des allers-retours entre les deux positions autorisées pour battre,
Etc, etc… Mais vous en savez déjà assez pour
ne pas avoir l’air complètement perdu lors de votre prochain passage estival
dans un pub anglais.
Ce jour là, assis en tribunes avant le début des hostilités,
je tentais d’expliquer les règles de base à Alexia lorsque nos voisins pour la
journée arrivèrent.
Un père de famille anglais accompagné de son fils d’une dizaine d’année
allait éclairer ma faible lanterne lors de situations de jeu incompréhensibles.
Ils allaient également nous faire découvrir la « culture » du
cricket.
Cette culture qui consiste à apprécier autant les phases de
jeu que les phases sans jeu où l’on file au bar se ravitailler en boisson
houblonnée (même quand on a dix ans). Pour eux, cela ressemblait à une journée
au parc, avec divertissement intermittent fourni.
La journée débutait, les batteurs battaient, les lanceurs lançaient et les autres
attrapaient la balle avant de la relancer (vous voyez la métaphore avec la
journée au parc en compagnie du chien?).
Cela semblait relativement agréable pour un sportif curieux
tel que moi, peut-être un peu moins pour ma compagne. Car il faut bien
l’avouer, les raisons de s’enflammer sont tout de même bien rares, Un grand
coup de batte par ci, par là, un bel arrêt au vol toutes les deux ou trois
heures et puis c’est tout !
Une « standing ovation » eu tout de même lieu
lorsqu’un petit indien à l’allure timide pénétra dans l’enceinte. Ce petit
homme s’appelait Sachin Tendulkar et j’avais pu lire dans un petit livre
d’initiation au cricket que sa seule apparition sur un terrain suffisait à
électriser la foule. Cet homme, s’il avait été footballeur aurait été Pelé,
Maradona, Zidane et Messi réunis.
Le type est simplement une légende du sport, détenteur de
quasiment tous les records individuels que l’on a pu imaginer à propos de ce
sport. Né en 1973, il poursuit toujours sa carrière professionnelle et est de
très loin le cricketeur le plus riche du monde grâce à une multitude de
contrats publicitaires sur le gigantesque marché indien.
Sachin Tendulkar.
Pour ce qui est du match en lui-même, pas grand-chose ne me reste en mémoire. L'Angleterre allait éviter de
justesse la défaite et semblait s'engager vers un match nul sur lequel tout le
monde aurait pu finalement parier... Lorsqu'effectivement le soleil passa
derrière l'horizon, les "umpires" décidèrent que s'en était assez
pour aujourd'hui, renvoyant tout le monde à la maison. On remercia
chaleureusement nos voisins pour ce nouveau cours dédié à commun devenir un britannique
comme un autre, avant de se retourner vers la station de métro au même nom que
le stade.
Si pour
nous supporters et curieux, tout s'arrêtait là, ce n'était pas le cas pour les
joueurs puisqu'il leur restait alors deux jours de boulot pour conclure cette
rencontre amicale, ce match de 5 jours...