Cette histoire
très singulière me tient particulièrement à cœur et pour la comprendre
pleinement, il me semble nécessaire d’éclairer le récit du match par un
préambule historique.
1ère partie : le cours d’histoire
footballistique
Partout où vous irez dans le
monde, le nom de Wimbledon sera reconnu comme étant un fameux tournoi de tennis
au protocole rappelant la famille royale Britannique. Ce que les simples gens
savent moins est que si cet antre tennistique est nommé ainsi, c’est simplement
parce qu’il est situé dans le « borough » (équivalent de nos
arrondissements) du même nom.
Ce quartier
d’environ 55 000 habitants a toujours eu, comme tous les secteurs du pays,
son équipe de football locale. Le Wimbledon Football Club est né en 1889 et va
demeurer ancré dans les compétitions locales jusqu’à la fin des années 70. Puis
soudainement, le club va connaître une des ascensions les plus folles de l’histoire
du football anglais. En 4 saisons, Le club passe de la Football League
Fourth Division (D4) à la Premier League (D1).
Le sommet de l’histoire du club
intervient lors de la saison 1987-1988 quand il remporte la FA Cup face au
grand Liverpool (malheureusement, ils ne pourront jouer la coupe d’Europe la
saison suivante en raison de la sanction alors purgée par l’ensemble des clubs
anglais).
C'est pendant cette période que
le club acquiert le surnom de "Crazy Gang" en raison du comportement
excentrique de ses joueurs (comme Vinnie Jones, le joueur devenu acteur)
et des supporters.
A la surprise
générale, le club se maintiendra 14 ans dans l’élite du football anglais, étant
finalement rattrapé par une gestion administrative calamiteuse. En 1991, le
club est forcé d’abandonner son stade historique de Plough Lane en raison des
nouvelles mesures de sécurité drastiques imposées par le gouvernement de
l’époque. Le stade ne pouvant pas être remis aux normes, le club déménage donc
à Selhurst Park qu’il partage alors avec son locataire historique Crystal
Palace.
Le passage au
nouveau millénaire verra le club s’effondrer complètement. En 2000, le club est
relégué en deuxième division. En 2001 la direction annonce sa volonté de
déménager à Milton Keynes, ville nouvelle située à 80km au nord-ouest de
Londres (100km de Wimbledon).
En 2003 le
déménagement devient effectif provoquant la colère des fans qui en réaction
décident de créer un nouveau club local nommé AFC Wimbledon et qui faute de
place dans leur communauté, ira évoluer dans le petit stade de Kingsmeadow dans le
borough voisin de Kingston-upon-Thames.
Alors que le
Milton Kaynes Dons FC végète en League One (la troisième division anglaise),
l’AFC Wimbledon démarre lui sa vie en 2002 à l’échelon le plus bas que l’on
puisse trouver dans la région. L’AFC, maintenant propriété des fans (AFC
signifiant A Fans Club), va démarrer une longue ascension vers le
professionnalisme pendant que sa version dérivée se contentera de stagner entre le deuxième et le troisième échelon national.
Pour leur
premier match, à l’été 2002, en amical contre Sutton United, 4657 fans vinrent
au stade et envahirent le terrain de joie au coup de sifflet final malgré une
défaite 4-0. Un club vivait au sein de leur communauté et cela suffisait à leur
bonheur.
Leur première
saison fut bouclée avec une moyenne de spectateur supérieure à 3000 personnes
par match à domicile, c'est-à-dire une moyenne supérieure à celle du FC
Wimbledon qui vivait sa dernière année dans le sud-ouest de Londres.
Au démarrage
de la saison 2008-2009, le club se trouvait dans l’antichambre de la Football
League (et donc du professionnalisme). 3 promotions obtenues en 6 ans permirent
au club de figurer dans le championnat « Conference South »
représentant le 6e échelon footballistique du pays.
2e partie : The lower
leagues
En 2008,
j’étais installé depuis relativement longtemps à Londres et ma soif de football
était relativement facile à étancher. Le football est omniprésent dans cette
ville. Des pubs avec des retransmissions télévisées de tout ce qui supporte la
présence de caméras aux grandes étendues vertes remplies de joueurs
occasionnels en passant par l’imposante présence des pages dédiées au sport
dans les quotidiens du pays, on ne peut pas complètement ignorer le football.
Tous mes
collègues par exemple suivaient attentivement les résultats de leur équipe
favorite (sauf l’un d’entre eux, qui je le reconnais, n’en avait strictement
rien à faire…). Arsenal, Chelsea, Liverpool, Tottenham, West Ham faisaient
partie des équipes suivies. En plus de ces noms connus, on pouvait suivre
attentivement les résultats de l’AFC Wimbledon puisqu’un de mes plus récents
collègues était originaire du quartier en question et accessoirement
copropriétaire du club depuis sa fondation par les fans en 2002.
Il n’a pas eu besoin d’insister longuement pour me
convaincre de venir assister à une rencontre des « real dons » comme
il disait fièrement. Un soir de semaine hivernal de la fin 2008, je me rendis
donc avec mon ami Jem à Kingsmeadow, antre de l’AFC. C’est entassés dans le
train de banlieue en compagnie des milliers de travailleurs rejoignant leur
domicile après une journée de travail en ville que nous débutions notre soirée.
C’était la fin de l’année 2008 et les locaux recevaient ce
soir le FC Tooting & Mitcham, club basé à une dizaine de kilomètres plus à
l’est dans le cadre de la coupe du Surrey. Le stade, avant d’être celui de
l’AFC Wimbledon, était celui du FC Kingstonian, club local centenaire. Le
partage du stade se reflétait sur la décoration des locaux où le rouge et le
blanc historique était mêlé au plus récent jaune et bleu de l’AFC.
Cependant,
un logo ressortait aisément du lot, celui de l’entreprise « Sports
Interactive », développeur de jeu vidéo basé à Londres. L’entreprise est
connue dans le monde pour sa longue série de jeux Football Manager
(anciennement Championship Manager) et connue localement pour son indéfectible
soutient envers le jeune club. En plus d’être le sponsor principal du club
depuis sa création, l’éditeur s’est permis d’incruster un message pro-AFC
apparaissant occasionnellement dans l’interface de ses jeux.
Malgré le déroulement en semaine
d’un match de coupe contre une équipe d’une division inférieure, malgré le
froid et malgré la concurrence télévisuelle de la Champions League (diffusée
sur les écrans du bar derrière la tribune principale !), on pouvait
compter environ 1500 fans présents pour ce derby dans un stade pouvant
officiellement en contenir 4850 dont 2000 assises sur 2 tribunes et 2 terraces
(gradins sans siège).
La qualité du match était celle
que vous pouvez espérer lors des premiers tours inter-village de la coupe de
France, avec un petit détail en plus, la présence physique. Comme je l’avais
moi-même remarqué, sur les terrains de football amateurs britanniques, l’aspect
du jeu primant sur tous les autres est l’aspect physique. L’engagement est
total, la peur du contact inexistante et la tolérance aux coups bien plus haute
qu’en France.
L’ambiance était elle aussi
comparable à celle que l’on retrouve dans nos stades champêtres sauf qu’au lieu
d’avoir une cinquantaine de locaux vociférant après les joueurs, les
entraineurs et les arbitres, on avait ici affaire à 20 ou 30 fois plus de voix.
Pour ne rien arranger, les prix pratiqués aux bars sous la tribune principale
devaient probablement avoir une influence sur la qualité de l’expression orale
de quelques supporters…
Bien que clairement supérieurs à
leurs adversaires, les Dons ne réussirent pas à prendre l’avantage avant la fin
des 90 minutes. Contrairement à la grande FA cup, ici en cas de match nul, on
dispute une prolongation. C’est durant une nouvelle pause à la chaleur du bar
et sous l’écran diffusant le très haut niveau footballistique que nous
entendions la clameur des supporters qui n’avaient pas manqué la reprise du
match. L’AFC Wimbledon venait d’ouvrir la marque (grâce à une grossière faute
de main du gardien adverse) et ne serait plus inquiété jusqu’à la fin de la
rencontre.
Au final, cette plongée dans le
football semi-amateur anglais m’aura convaincu, si je ne l’étais pas encore que
le football est une activité primordiale de la société anglaise. Sa pratique
revêt une importance extrêmement plus grande là bas que de l’autre côté de la
Manche.
En commun, nous avons l’odeur de
saucisse grillée et de bière renversée mais ce que nous n’avons pas est une
passion aussi grande que la leur, celle qui les mène à suivre leur club, celui
de leur enfance, de leur quartier, partout et pour toujours, et ce quels que
soient ses déboires.
C’est l’exemple suivit par mon
ami Jem qui pour rien au monde n’abandonnerait le club de Wimbledon. Même au tréfonds
des « lower leagues ».
3e partie : la suite
La suite de l’aventure pour l’AFC
Wimbledon n’allait décevoir aucun fan ni aucun amateur de contes de fées
footballistiques.
En 2009, ils ont vu leur équipe
être promue en Conference National (le 5e échelon du pays) puis 2ans
plus tard, ils obtinrent le droit de disputer la finale des playoffs pouvant
leur permettre d’accéder à la Football League pour la première fois de leur
courte histoire.
La finale disputée au City of
Manchester Stadium devant près de 20 000 fans, les Dons s’imposèrent aux
tirs au but face à Luton Town et concrétisèrent ainsi leur 5e
promotion en neuf ans d’existence.
Cependant, la vie en Football
League Two s’avère plus difficile. Ils réussirent à se maintenir en terminant
leur première saison à la 16e place (sur 24 clubs).
Cette année, a mi-saison, le club
se trouvait dans la position non enviable du dernier de sa division. Cependant
un évènement vint égayer la fin d’année des supporters jaunes et bleus.
Quand le tirage au sort du 2e
tour de la FA Cup eu lieu le 4 novembre 2012, tous les fans de football
remarquèrent un savoureux duel. L’AFC Wimbledon allait devoir se déplacer sur
le terrain des MK Dons…
Le 2 décembre 2012, 17 000
supporters (dont environ 3 200 chantant pour l’AFC) se massent dans les travées
du stade de Milton Keynes. Les premières retrouvailles officielles entre les
deux « Dons » depuis l’annonce du départ des premiers loin de leur
Wimbledon natal, promirent d’être grandioses.
Jamais une rencontre de coupe
entre deux clubs de troisième et quatrième division n’aura bénéficié d’une
telle couverture médiatique. Match retransmis en direct à la télévision
publique, couverture de magazines et de journaux sportifs… Bref, un vrai
choc ! Le match se termina après une quantité indénombrable de chants
raillant l’adversaire (« We are the real dons » venait quant à lui de
toutes les tribunes à la fois…) par un but décisif marqué par l’équipe favorite
à la dernière minute de jeu.
Le lendemain, le retour à la vie
normale fut probablement pénible pour tous les fans de l’AFC Wimbledon. Le rêve
de vaincre l’ennemi juré était passé, il fallait se concentrer au plus vite sur
le championnat et sur la vie locale du club, définitivement ancré dans son
quartier.
Voir aussi la comparaison de la
vie des deux clubs depuis leur séparation, réalisée par www.sabotagetimes.com avant leur
affrontement en FA Cup.