Preignan, 11 mai 2012
Une fois n’est pas coutume, ce
paragraphe ne mentionnera aucun stade, aucune tribune, et surtout mon point
d’observation de la rencontre ne se situera pas en dehors des limites du
terrain mais bien à l’intérieur de celles-ci. Et en plus je serai ici
intégralement vêtu de noir...
Ayant depuis peu réalisé que ma
carrière de footballeur professionnel avait été tuée dans l’œuf à la veille de
son éclosion par deux sévères blessures au genou, je me suis mis en quête d’un
substitut psychologique à cette activité que j’ai maintenant peur de pratiquer.
Sur une suggestion avisée (et
qu’elle regrette déjà) de ma femme, je décidai de tenter ma chance dans le
monde de l’arbitrage. Après tout, il s’agissait toujours de football, de
longues courses vaines et d’adrénaline et ceci sans que ma technique précaire
puisse être exposée aux yeux de tous! Une brillante idée en somme !
Je me rendis naïvement au bureau
du district du Gers au début du mois d’avril pour prendre des renseignements
sur les formalités à préparer dans l’optique d’une inscription pour la saison
suivante.
J’avais alors très largement
sous-estimé le besoin en arbitres qu’ont les différents districts et ligues de France.
Lorsqu’un volontaire se présente, ils ne lui laissent aucune chance de changer
d’avis !
La semaine suivant ma prise de
contact, j’étais en formation, celle d’après me vit passer un examen théorique,
la dernière semaine d’avril me permit de recevoir ma licence et d’être désigné
pour la première rencontre disponible dans le calendrier du championnat local.
Finalement il se sera écoulé moins de 5 semaines entre ma prise de
renseignements et mon premier match officiel. Impossible d’avoir le temps de
changer d’avis…
Ma première sortie était prévue
pour un vendredi soir en match avancé de l’antépénultième journée du groupe A
du championnat de première division du district du Gers (le 10ème
échelon national sur 11 possibles quand vous êtes un club du Gers).
Je devais pour ma première sortie
être accompagné d’un superviseur qui allait m’assister dans mes démarches administratives
puis m’observer officier (tout en étant prêt à intervenir en cas de gros
dérapage de ma part) avant de me présenter un bilan de ma performance.
Bien qu’étant convaincu qu’il
s’agissait d’une mauvaise idée, je ne pus m’empêcher de vérifier la situation
sportive des deux clubs engagés dans cette rencontre. Le club recevant situé
dans le fameux ventre mou de la division n’avait plus rien à espérer de cette
fin de championnat. Le club visiteur en revanche caracolait en tête du groupe
et n’avait plus besoin de grand-chose pour officialiser sa promotion vers la
division supérieure.
Il y avait donc un enjeu à cette
rencontre. Dommage pour moi… Cette découverte ne fit qu’augmenter le stress qui
me gagnait progressivement depuis quelques jours…
Le règlement officiel impose aux
arbitres des rencontres de ce niveau d’être présent au moins une heure avant
l’heure programmée pour la rencontre. Bien qu’ayant été extrêmement prévoyant,
un incroyable et incompréhensible bouchon de 20 minutes dans un village habituellement paisible me fit arriver sur place à 20h02 pour un coup d’envoi prévu à 21h00.
Cela aurait pu être sans effet
s’il n’y avait pas eu de superviseur m’attendant patiemment en regardant sa
montre. Cette attitude me fit immédiatement réaliser une erreur bien plus grave
de ma part : j’avais oublié ma montre à la maison! Heureusement, mon
superviseur était là pour faire également office de chronométreur.
Le stress qui m’oppressait était
maintenant énorme. La succession des tâches à effectuer me permit de ne pas me
déconcentrer pour autant : vérification de l’état du terrain, du tracé des
lignes, de la robustesse des buts et des filets, de l’état du ballon officiel,
puis habillage partiel pour aller s’échauffer suivi d’un contrôle des licences
et du remplissage de la feuille de match avant de convoquer successivement les
capitaines, les arbitres assistants volontaires et les délégués officiels pour
signer ce document puis pour recevoir quelques brèves consignes.
L’heure était enfin venue de
pénétrer sur le terrain en tenue noire pour la première fois de ma carrière.
Après seulement quelques pas à l’extérieur, je me rendis compte que la partie
inférieure de mon maillot n’avait pas eu le temps de pénétrer dans mon short.
La faute fut corrigée en arrivant au rond central. Un regard échangé avec mon
superviseur me fit comprendre que cela ne lui avait pas échappé non plus…
Une suée de stress supplémentaire
pointa le bout de son nez lorsque dans la pénombre caractérisant le moment où
le soleil se couche et où les projecteurs peinent à se mettre en action, je dus
effectuer le « toss » (tirage au sort) avec une piécette officielle
bicolore rouge et noire. La luminosité et mon handicap visuel aidant j’étais
incapable de différentier les deux faces. Heureusement, les deux capitaines
parlèrent pour moi et tout le monde se mis en place tranquillement.
(Note : les équipes
évoluaient avec des tenues bien distinctes à mes yeux, rose pale d’un coté,
rouge vif de l’autre. Ouf!)
Mon premier coup de sifflet
résonna fort dans la campagne gersoise. Enfin c’est ce que je crus. Il ne
fallut que quelques minutes aux différents protagonistes pour me faire
remarquer que tout le monde avait du mal à entendre mes interventions…
Je ne voulais pas croire tous les
arbitres avec qui j’avais précédemment parlé lorsqu’ils m’affirmaient que
j’aurai beaucoup de difficultés à siffler pour mon premier match. A l’issue de
ma première mi-temps, je dus me rendre à l’évidence puisque mon stress combiné
à une expérience du football amateur anglais (où quasiment tous les coups sont
permis) encore trop fraîche dans ma mémoire fit que certains joueurs
commençaient à s’énerver de ne voir que peu de fautes sanctionnées d’un coup
franc.
Cependant j'ai du quand même
intervenir une fois pour délivrer le premier avertissement de ma carrière à
l’encontre d’un joueur local coupable d’un tacle dangereux. Rien de
problématique sauf qu’avec des doigts tremblants, le premier carton qui sortit
de ma poche avait la couleur rouge… Je rectifiais rapidement mon geste avant
que quelqu’un ne s’emporte… (Note pour plus tard : toujours laisser le
carton rouge seul dans une autre poche…)
La deuxième mi-temps débutait et
je me sentais clairement plus en confiance : le coup de sifflet était plus
net, les décisions mieux justifiées et le placement plus judicieux.
Le seul problème était que le
score était d’un but partout, ce qui ne plaisait pas aux visiteurs qui avaient
prévu d’aller fêter leur promotion au festival des bandas de Condom le soir
même. Et dans ce but, il leur fallait impérativement une victoire.
La rencontre était clairement
plus nerveuse, les contacts plus violents et le souvenir de ma discrète
prestation de la première mi-temps bien présent dans les mémoires des joueurs.
Ceux-ci ont bien entendu tenté de
profiter de mon inexpérience en se plaignant, râlant et provoquant à tour de
bras. De véritables tentatives d’intimidation qui n'ont eu que peu d’effet. Il fallait donc essayer d’être très présent sur tout
éventuel contact et essayer de ne rien laisser passer.
Quarante-cinq minutes plus tard,
le bilan était tout de même de deux coups de pied de réparation accordés aux visiteurs, d’un
carton jaune pour comportement antisportif, d’un autre pour désapprobation en
paroles et d’un carton rouge direct pour comportement violent (bousculade sur
un joueur venant de marquer ayant soi-disant tenté en guise de célébration de
provoquer verbalement les 5 supporters présent dans le stade).
Mon superviseur/chronométreur me
fit signe que le temps du triple coup de sifflet était venu, les joueurs
rentrèrent sans difficultés au vestiaire et vinrent quasiment tous me serrer la
main pour me souhaiter bon courage, malgré ma prestation très hésitante.
Une douche et quelques formalités
administratives plus tard (incluant la réception d’un chèque de 61€ en guise de
défraiement), il ne me restait plus qu’à débriefer calmement la soirée en compagnie
des deux capitaines et de mon observateur principal.
Si l’on omet les quelques fautes
impardonnables (retard, montre, maillot…) qui ne se reproduiront jamais (faites
moi confiance), je notais qu’il allait falloir clairement insister sur ma
communication auditive, tant en paroles qu’en coups de sifflet.
Communiquer plus avec les joueurs
pour expliquer mes décisions et calmer les ardeurs mais aussi moduler
l’intensité de mon souffle pour immédiatement faire comprendre aux joueurs et
aux observateurs extérieurs la gravité de la faute signalée.
Enfin, je réalisai une autre
erreur capitale :
Dans le monde professionnel, un
arbitre central a une confiance aveugle envers ses assistants et peut donc se
contenter de parcourir la diagonale du terrain opposée à ceux-ci.
Dans le monde amateur où l'on se trouve avec des
assistants bénévoles représentant les clubs en train de jouer, il me fallait
couvrir l’intégralité du terrain et ne pas compter sur ces assistants.
Le lendemain matin après avoir
mis beaucoup de temps à m’endormir, j'ai du retourner à la paperasse
administrative et rédiger mon premier rapport écrit complet concernant
l’exclusion directe qui accompagnera le joueur lors de son passage en
commission d’arbitrage. La clémence était de mise en considérant que le joueur
exclu avait finalement quitté le terrain sans difficulté puis était venu s’excuser
et reconnaître son emportement à l’issue de la rencontre.
Finalement cette rencontre fut
sans aucun doute la plus stressante de ma carrière de joueur/supporter/arbitre.
Bien que les difficultés furent nombreuses, tout comme les insultes vaguement
entendues au loin sur le pré (incluant le très fameux « aux chiottes
l’arbitre »), celle-ci ne m’ont pas effrayé assez pour m’empêcher de
revenir le weekend prochain !