Pamiers, 25 Novembre 2020 (et Buenos Aires, 12 Janvier 2007)
Il y a quelques heures la mort de Diego Maradona a été annoncée. La mort d’un sportif de légende affecte toujours beaucoup de monde. Je n’y échappe pas, pas aujourd’hui, bien que je ne sois pas un grand fan des hommages post mortem, trouvant souvent dommage de ne pas avoir osé offrir ces hommages plus tôt. Et puis dans ce cas précis, soyons honnête, cela fait bien une vingtaine d’année qu’il joue avec la mort et comme toujours c’est elle qui gagne à la fin. La nouvelle n’apparait donc pas comme une très grande surprise.
Mais voilà, je suis né quelques jours après sa première coupe du monde et j’étais au lycée quand il a finalement pris sa retraite. J’ai donc grandi en parallèle de sa carrière et étrangement, mon intérêt réel pour le football professionnel a débuté en avec la coupe du monde 1990 qui de l’accord de tous les observateurs correspond avec le début du déclin dans la carrière du joueur.
Mes souvenirs réels de Maradona pendant sa carrière de joueur sont plutôt ceux du FC Séville et de l’Argentine pendant la « World Cup 94 ». Tout le monde m’accordera qu’on ne parle pas là de ses heures les plus glorieuses.
Ensuite, le vingt-et-unième siècle et son internet me permettront de rattraper le retard et remonter le cours du temps pour découvrir le football des années 80 en image et donc retracer la carrière de Diego et comprendre réellement pourquoi il a fini par être élu « meilleur joueur du XXe siècle ».
Mon premier souvenir est italien. D’abord, il y a l’autocollant, le petit rectangle imprimé par Panini avec sa tête hirsute (une coupe de cheveu qui m’inspirera des années plus tard !) et son nom complet : Diego Armando Maradona. Pourquoi avait-il eu l’honneur de voir son second prénom imprimé ? Aucune idée, cependant cette simple décision me permettra de remporter de précieux points lors d’un « pub quiz » quelques années plus tard. Merci Panini pour ce geste (et pour bien d’autres raisons). Ensuite, il y à la finale de la coupe du monde 1990, le seul match du tournoi incluant l’Argentine dont j’ai un souvenir quelconque (mais autres souvenirs originaux du tournoi sont ceux de Cameroun-Colombie et Cameroun-Angleterre). Et le souvenir n’est pas faramineux, Maradona n’avait rien d’exceptionnel ce jour-là et le match de manière général était très pénible à regarder : jeu lent, frileux, ultra-défensif… Et à la fin c’est l’Allemagne qui gagne et Diego qui pleure.
A la suite de cette coupe du monde mon intérêt pour ce sport au niveau professionnel (et non plus uniquement au niveau de mon ballon et mon jardin) grandit rapidement. Les parcours des clubs français en coupes d’Europe (Marseille 91, Monaco 92, Marseille, Paris et Auxerre 93, Paris 94…) et l’équipe de France en étaient les principales raisons. Et dans ce cas, pas de nouvelle de Diego. Heureusement, il y avait « Telefoot » tous les dimanches matin et « Oze Mondial » une fois par mois. Et par le biais de ces médias, je commençais à me rendre compte de ce que ce joueur représentait. On parlait de lui, de son glorieux passé et de son triste présent. Mais en tout cas, on n’arrêtait pas de parler de lui.
Il y avait également le premier ordinateur familial, un Amstrad CPC 6128, modèle britannique livré avec ses jeux britanniques qui incluaient un jeu de football au nom étrange : « Handball Maradona ». Les explications patriarcales (et oui, YouTube et Wikipédia n’étaient même pas encore en gestation !) m’apprirent suffisamment sur le match de la coupe du monde 1986 qui servait de référence au titre en question : quart de finale de coupe du monde, 2 buts légendaires pour Maradona, le premier par son vice, le deuxième par son génie. Bon, ce fut suffisant pour le garçon que j’étais à ce moment-là en tout cas.
Puis arriva l’heure de la coupe du monde de 1994 aux Etats-Unis, la première que j’allais pouvoir suivre très sérieusement, malgré le décalage horaire et l’absence de l’équipe de France. Maradona lui était présent, en tant que capitaine de l’équipe d’Argentine. Pour son premier match à Boston, contre la Grèce, il marque un but et la célébration qui suivra restera mémorable pour beaucoup. Il se mit à courir en ligne droite vers une caméra située derrière la ligne de touche, le visage déformé et les yeux près à exploser. Cette célébration pleine de rage et de produits divers sera la dernière de sa carrière avec le maillot Albiceleste.
Quelques jours plus tard il délivra puis deux passes décisives contre le Nigéria pour une deuxième victoire. A l’issue du match son nom est tiré au sort pour passer au contrôle antidopage qui marquera la fin de sa carrière internationale. Il sera contrôlé positif à l’éphédrine puis sera exclu de la coupe du monde et condamné à rentrer au pays.
Finalement, je l’aurai vu jouer moins de dix matchs en direct de toute mon existence, c’est très peu. Mais l’emballage médiatique autour de cette personnalité pendant et après sa carrière de joueur me laissait très curieux.
Ensuite, vinrent les années 200 et la démocratisation de l’accès internet. Ma soif de culture footballistique grandissait aussi vite que les capacités de téléchargement de mes ordinateurs. Et la courbe était clairement exponentielle. Il y eu en vrac : les rappels de ses meilleurs moments en coupe du monde, méticuleusement programmés tous les 4 ans par les médias, le Maradona des équipes de légendes dans les jeux vidéo, les longs débats post-vingtième siècle sur l’identité du « meilleur joueur de football du siècle », sa brève et décevante carrière d’entraineur ou encore les mésaventures de sa vie privée… Bref, même dix ans après l’arrêt de sa carrière, Diego était encore une star médiatique.
Et puis, le 30 décembre 2006, Alexia et moi prenions l’avion pour Buenos Aires (via Londres, Madrid et Sao Paolo, pas mal du tout en termes footbalistiques…). Un mois entier à la découverte de l’Argentine, un mois formidable ! Dans l’hémisphère sud, le mois de janvier correspond au mois de juillet de l’hémisphère nord, soit le pire mois de l’année pour les passionnés de football. Ce qui aurait pu passer pour une organisation bâclée de ma part deviendra une raison supplémentaire d’admirer ce pays et ses habitants.
Après quelques pérégrinations dans le sud déserté du pays, en Patagonie, le milieu de notre séjour nous offrait quelques jours pour découvrir Buenos Aires. Une visite du quartier populaire et coloré de Boca était programmée. Cette journée allait inclure, tout du moins je l’espérais, un passage par le stade du club de football de Boca Juniors. La « bombonera » a ce surnom parce que un jour un type influent a dit que ce stade ressemblait à une bonbonnière, Une occasion pour moi de rappeler qu’il faut savoir dire non à la drogue.
Le micro-quartier autour du stade était magnifique avec des bâtiments peints de couleurs vives, des petits bars et restaurants très conviviaux et de nombreuses œuvres d’art à la gloire du club local et de sa plus grande légende, Maradona. Le touriste lambda n’avait pas le choix il devait s’informer sur la vie de ce type représenté de multiples façons à de nombreuses reprises à travers tout le quartier.
Maradona était bien originaire de Buenos Aires, de Lanus, juste à côté du quartier de Boca, mais débuta sa carrière quelques hectomètres plus loin, dans le club d’Argentinos Juniors. Après avoir fini son adolescence et débuté sa carrière professionnelle là-bas, il rejoint Boca Juniors en 1981. Et il en repartira déjà 18 mois plus tard. Entre temps il aura remporté le seul et unique titre de champion d’Argentine de son palmarès.
Les rues autour de Caminito sont jaunes et bleues de partout, aux couleurs du club, et Diego est lui aussi partout, bien qu’il n’y ait joué qu’une seule saison entière pour le club. Un fait qu’on ne trouve pas sur les lignes d’un palmarès…
La visite du stade confirmera cette impression, on nous parle de la place de Maradona dans le vestiaire, de la place de Maradona sur le terrain, de la loge de Maradona en tribune… Alors qu’à ce moment précis Boca Juniors fait jouer le deuxième plus beau et plus mythique numéro dix de son histoire avec Juan Roman Riquelme. Mais il ne fait pas le poids dans les cœurs du quartier. Que ce soit clair, à Boca, Maradona est omniprésent.
Quelques jours plus tard, à Salta, dans le nord-ouest du pays, nous aurons, malgré la morte saison, une occasion de goûter à la ferveur argentine pour le football. La rencontre amicale Racing-River fut une soirée formidable . Et ce soir-là, comme à beaucoup d’autres moments pendant notre voyage, nous avons eu la possibilité de discuter de Maradona, de la coupe du monde 1986 et surtout du quart de finale face à l’Angleterre. Sur un terrain de football, Maradona a vengé tout le peuple argentin, quatre ans après une guerre des Malouines qu’ils n’avaient pas souhaité. D’ailleurs les autocollants « Malvinas Argentinas » étaient très souvent visibles, collés à l’arrière des voitures locales. Pour ces deux buts et pour la coupe ramenée à la fin du tournoi, Maradona était devenue une idole nationale, quel que soit votre club favori.
Et la vie de Maradona continua de s’écouler de frasque en frasque sans m’émouvoir davantage, jusqu’à mes trente ans. Un ami anglais à la culture footbalistique digne de la mienne, m’offrit alors le livre biographique de Maradona qui venait de sortir. En général, je n’aime pas les autobiographies. Cela correspond à un exercice narcissique qui ne m’intéresse pas. Mais bon, quand on m’offre un livre qui parle de foot, je le lis et vite en plus.
Il se trouve que ce livre me fera changer d’avis sur les autobiographies de footballeurs. Ma devise est maintenant de tolérer les écrits narcissiques rédigés par des joueurs tout aussi égoïstes durant leur carrière . Et à cette occasion j’en appris beaucoup sur sa jeunesse, ses années de vie et de jeu avant son arrivée en Europe en 1982. Et ce fut passionnant. Une histoire d’ascenseur social fulgurant et totalement incontrôlé, voire incontrôlable faite pour en émouvoir plus d’un ! Cette genèse ne vient pas pour moi justifier le caractère du personnage mais au moins l’éclairer et du coup le rendre encore plus « adorable » à mes yeux.
La vie de l’idole argentine continua à avancer, au gré des alertes de santé et des diverses cures de remise sur pieds. A chaque annonce médicale, le pays tremblait de voir son idole nationale disparaître pour toujours.
Et ce qui devait arriver, arriva le mercredi 25 novembre 2020, Diego Armando Maradona est annoncé mort.
Et puis voilà. Là où je vis, ce genre de nouvelle, je n’ai personne avec qui je peux en parler pendant des heures autour de quelques bières et quelques souvenirs (ou images d’archives). La soirée passe avec mes pensées et YouTube pour seuls compagnons.
Le lendemain, le sujet est à peine effleuré par mon entourage. Mais je me tiens au courant des informations, j’observe les écrans, je vois que des millions d’argentins sont en deuil et se rassemblent malgré la pandémie , j’écoute le président argentin regretter que la constitution argentine ne lui permette pas d’offrir plus de 3 jours de deuil national, j’entends le club de Naples décider spontanément de renommer son stade… Je veux partager ce que je perçois et ce que je ressens mais avec qui ?
Je décide d’imposer cela à quelqu’un, parce que j’en ressents vraiment le besoin. Je choisis une cible facile et je me prépare à faire un cours d’anglais basé sur le match de 1986 et la situation politique de l’époque à ma classe de 3e. La fin justifie les moyens. Je prépare donc une heure de spectacle, de passion footbalistique appliquée au cours d’anglais. Je pense avoir assez d’anecdotes à partager pour capter l’attention de tous mes auditeurs. En parallèle, je parcours ma garde-robe et prépare 3 maillots pour trois jours de deuil, comme les argentins. Boca le jeudi, l’Argentine le vendredi et Naples le samedi.
Malheureusement, pour des raisons extra-pédagogiques, le spectacle n’aura pas lieu. Tant pis pour moi et mes élèves.
Dans ces moments-là, la vie londonienne me manque cruellement, une visite au pub et le tour serait joué.
Ici, ma seule solution pour terminer ma thérapie est de me mettre au clavier. Bien que l’emploi du temps du moment soit complètement plein, je me trouve des petits moments pour écrire ces lignes. Il me faudra cependant un mois pour en arriver à cette ligne-là…
Dieu est mort, vie Dieu, vie le football !